Séjour à Alexandrie
(30 mars - 21 avril 1915)

voir les trajets de l'année 1915

Mardi 30

Je me lève à 5h ¼ et prépare mon sac pour le débarquement
6h ½ fort brouillard on ne voit rien à 20 mètres, il fait chaud
10 ½ nous accostons à quai. C'est un spectacle inoubliable de voir cet immense port avec ses centaines et ses centaines de bateaux
1h du soir. - Il fait très chaud on est très mal n'étant pas habitué à cette chaleur, nous commençons à débarquer
5h soir Le débarquement des chevaux s'est très bien effectué les indigènes marchands ambulants sont très malmenés par la police qui les frappe à coups de bâton et de poings.
De 6h soir à minuit je suis de corvée de débarquement et je vais boire deux bouteilles de bière 0f75 l'une

Mercredi 31

6 ½ appel abreuvoir et recherche de tout son matériel continuation du débarquement c'est du gâchis et un fouillis inextricable.
1h soir départ du quai pour le camp ; traversée de la ville au pas, nous passons dans le quartier arabe qui est complètement rempli de marchands de toutes sortes, et en plus très sale ; le reste de la ville n'est pas mal, toutes les maisons sont plates, le style en est lourd à part quelques maisons à la française. Sorti de la ville il y a une très belle et très longue avenue avec 4 rangées d'arbres très touffus. au bout de l'avenue c'est des quartiers neufs jusqu'au camp c'est très joli avec de beaux jardins en pleines fleurs roses pétunias, géraniums et autres, il y a certaines villas très riches.
5 heures du soir nous arrivons au camp de Victoria Collège. En arrivant je trouve Descave c'est un camp sablonneux pas très grand la gare se trouve dedans il est entouré de très belles maisons. Il y a aussi beaucoup de palmiers. D'Alexandrie au camp, il y a aussi beaucoup de figuiers, on voit des champs de pommes de terre et de navets. Aussitôt arrivés nous formons le parc mettons les chevaux à la corde et montons nos tentes ensuite nous mangeons et nous nous couchons vers 8h ½.

Jeudi 1er Avril 5h ½ réveil J'ai passé une très bonne nuit étant très fatigué par le voyage et le débarquement
6 ½ appel
7h pansage nos chevaux en ont grand besoin. Dans le camp il y a un grand collège Anglais d'où le nom du camp. Tout autour du camp il y a une foule de marchands, d'oranges, de pâtisserie, de limonade, de vin et diverses choses. Avec de l'argent on a beaucoup de choses bien que ce ne soit pas hors de prix, le vin 0.50 la bouteille, il est très fort.
1h soir je fais la lessive c'est un agrément, ça sèche aussitôt.
3h soir pansage
6h rassemblement pour la revue du général qui a lieu à 8h et nous ne mangeons qu'après. J'achète un litre de vin à 0f50 pour boire en mangeant ; il est très fort 12 à 15 degrés. Le soir il fait frais il y a beaucoup de rosée sur les tentes. Arrivée de Gauthier au camp.
Vendredi 2 Avril 5 ½ réveil
6h appel
7h visite des chevaux. Comme bêtes de bâts, il y a beaucoup d'ânes tous très petits, il y a aussi pas mal de chameaux. Il fait plus chaud à 7h ½ 8h matin qu'il ne fait à midi, car le matin il ne fait pas d'air tandis que dans la journée il en fait.
Ce qu'il y a de désagréable ici c'est la monnaie on se fait facilement empiler avec leurs systèmes de piastres.
9h ½ nous nous préparons à changer de cantonnement c'est un drôle de fourbi : tout défaire ce qui a été fait depuis 2 jours, ensuite soupe et départ à midi
nous arrivons à notre nouveau cantonnement à 3h soir c'est peut-être à 500 mètres de l'autre
Nous sommes dans un champ de palmiers. Nous sommes dans du sable pur. Les piquets de tentes ne tiennent pas. Toute la journée il a fait bien chaud on ne s'aperçoit guère que c'est le vendredi saint. J'en demande pardon à Dieu. Toute l'après-midi ça a été un va-et-vient de toutes les grandes toilettes d'Alexandrie.
Samedi 3

5h réveil
6h appel j'ai envoyé ma 19ème lettre
1h soir rassemblement pour la promenade à cheval. nous quittons le camp et nous nous avançons assez loin dans la campagne culture luxuriante par irrigation grands champs de tomates, de fèves, de luzerne et de petit blé barbu ou escourgeon. les transports se font par voitures et à dos de chameaux ensuite nous avons été à la mer baigner les chevaux nous en profitons pour prendre un bon bain dans l'eau de mer qui est très bonne et pas froide
6h soir soupe bonne c'est l'anniversaire de mon chef de pièce Barnault et il nous paye un sceau de vin soit 7 litres plus celui que nous avons acheté du vin que nous payons 0.40 le litre et du bon

Dimanche 4 Avril Jour de Pâques 5h ½ Réveil en fanfare dans toutes les parties du camp. 7h messe militaire en plein air à laquelle assistaient pas mal de soldats on y a chanté plusieurs cantiques, l'O Salutaris et à la fin l'Etendard c'était très impressionnant. J'ai eu le bonheur de communier. nous avons toute liberté de 6h ½ à 8h ½ heure à laquelle nous soignons les chevaux à 9h nous sommes libres jusqu'à 3h du soir mais comme nous ne pouvons pas sortir du camp, ça ne nous avance guère. pendant ce temps j'écris ma 20ème lettre et différentes cartes ensuite j'aide les cuisiniers puis je vais me promener avec un copain dans le camp en attendant 3h puis je prends la garde d'écurie.
Lundi 5 5h ½ il a fait du grand vent toute la nuit, un cheval s'est échappé
7h promenade à cheval
9h ½ c'est un défilé ininterrompu de voitures, autos, piétons et cavaliers qui vont à la revue
11h ½ après la soupe on me donne la permission de midi à 7h du soir le camp est rempli de civils hommes et femmes toutes les troupes reviennent de la revue
1h ½ nous rencontrons un français, bourguignon et journaliste à Alexandrie il nous paye à boire du bon vin de France du blanc ensuite nous nous trouvons 4 du 45 et sommes pilotés par un italien nous avons visités un peu partout le quartier arabe compris ensuite nous prenons l'apéritif en face le casino noula (?) puis nous allons manger chacun un cervelas, deux omelettes et un fromage de Hollande, plus deux bouteilles de Graves. Puis nous reprenons le tram.
Je reçois la lettre n°7 6h ½ pour rentrer à 7h bien las.
Mardi 5h ¼ réveil toute nous touchons ½ morceau savon la nuit le vent a soufflé en tempête et il a tombé de l'eau.
7h ½ pansage et soins aux chevaux.
1h soir conduite des voitures jusqu'à 3h ½ ensuite soins aux chevaux.
7h soir je reçois une lettre du 21 toute la journée il a fait du vent nous touchons 4 paquets de tabac
Mercredi 7 la nuit il a fait du grand vent.
8h nous partons à la baignade des chevaux à la mer, nous arrivons là, des vagues énormes viennent battre le rivage, sans changer de place par instant nous sommes sur le sable à 15 mètres de l'eau à d'autres moments nous avons de l'eau jusqu'à la ceinture c'est très curieux
10h ½ soupe après la soupe épluchage des patates puis à 1h soir départ pour la mer avec les chevaux ; Bayon manque de se noyer ayant voulu s'avancer trop loin en mer après le lavage des chevaux je prends un bon bain jusqu'à ce soir. depuis la descente du bateau, nous avons fait la cuisine pour la section 5 et 6ème pièce maintenant nous allons faire la cuisine par pièce je crois que ça sera plus pratique
Jeudi 8 Minuit Alerte c'est très drôle une alerte en campagne en pleine nuit, nous avons fait nos paquetages, roulé nos manteaux garni nos chevaux et attelé une fois attelés l'on nous a fait dégarnir. c'était fini. après nous avons bu un bon jus bien chaud puis nous nous sommes recouchés il était environ 2h ½.
6h appel
7h manœuvre à pied jusqu 'à 8h ensuite pansage
10h ½ soupe
1h soir conduite des voitures dans le sable. depuis plusieurs jours il fait du grand vent on avale du sable plus qu'on ne voudrait
Vendredi 9 7h matin nous partons pour la conduite des voitures, promenade des plus intéressantes nous passons dans un pays St Gabriel où il y a un marché par étalage, on y voyait de tout choux, carottes, salades de toutes sortes, radis, des bananes, des concombres, des tomates, des pommes de terre et toutes espèces de choses plus fraîches qu'en France, belles boucheries bazars comme en France on voit beaucoup de bananiers chargés de bananes aux treilles il a des bourgeons qui ont 40 cent. de long. Nous longeons un des bras du Nil où il y a beaucoup de bateaux à voiles il y a aussi des poteries ou il y a beaucoup d'urnes pointues par le bas.
J'envoie une lettre à Mr le Curé et une à Emmanuel Lanson.
Samedi 10 à 4h ½ du matin on vient m'avertir qu'il faut garnir nos chevaux immédiatement pour partir en convoi. nous attelons 8 chevaux sur une fourragère et nous faisons 4 ou 5 kil. dans le sable avec temps de trot et forte côte, sans arrêt quand nous sommes arrivés nos chevaux étaient en nage. nous sommes venus pour placer des panneaux pour école à feu une fois les panneaux placés nous nous éloignons de quelques centaines de mètres et nous assistons au tir jusqu'à la fin qui a lieu à 10h.
Le temps d'enlever les panneaux il est 10h ½ quand nous partons pour arriver au camp à 11h ½ et manger la soupe à midi.
4h ½ je prends la garde d'écurie
Dimanche 11 La garde d'écurie a été dure, les chevaux ont cassé leur corde et se sont échappés, avec bien du mal nous rattachons la corde et rattrapons tous les chevaux. quoique dimanche il y a batterie attelée comme les autres jours. il m'est impossible d'aller à la messe. 5h ½ toute la journée il a fait très chaud. ma garde d'écurie est finie depuis 2h. nous nous faisons photographier toute la pièce. 7h soir le caporal qui était avec nous sur l'Australien vient nous voir à notre campement nous allons boire quelques bouteilles de bière ensemble.
Lundi 12 6h matin nous garnissons nos chevaux pour la conduite des voitures, nous rentrons vers 9h.
Midi on est bien il ne fait pas trop chaud il fait un peu de vent, j'achète un carnet, et 2 cartes postales pour changer une pièce de 5 francs c'est ma dernière de ce que j'avais dans mon porte-monnaie.
1h ½ nous partons 5 ou 6 à la mer pour baigner des chevaux.
4h soir je passe au vaccin contre le choléra
6h le photographe nous apprend que nous sommes ratés.
Mardi 13 5h matin je me réveille avec un fort mal d'épaule, suite du vaccin
7h je vais à la visite des chevaux.
9h j'écris ma 26ème lettre.
10h soupe.
midi je suis commandé pour reprendre la garde d'écurie près du quartier général, à 5h soir, pour remplacer Taffoureau il fait une chaleur étouffante c'est à ne pas pouvoir respirer il ne fait pas de vent et une poussière très épaisse au-dessus du camp. depuis 3h ¼ des nuées de sauterelles circulent au-dessus du camp jusqu'à 5h, l'air est toujours aussi irrespirable.
8h ½ il se lève un grand vent, avec tourbillons de sable. tout le restant de la nuit il ne fait pas chaud.
Mercredi 14 9h nous emmenons les chevaux dans notre cantonnement la garde d'écurie continue. Les femmes des gourbis qui environnent le camp viennent mendier un morceau de pain à toutes les cuisines. elles ramassent même les petits morceaux de pain qui sont dans les trous à ordures, elles font pitié à voir. les femmes travaillent et les hommes regardent.
Comme outil de culture, il n'y en a pas d'autres qu'une espèce de pioche pour charger les voitures sable, cailloux, fumier ou autre les naturels ne se servent que de grands paniers tressés genre cabas.
3h soir on nous distribue 2 chevaux par pièce.
5h ½ le camp est consigné nous allons boire un coup aux cantines qui sont installées au bout du camp elles sont bondées de monde et font de l'or.
Jeudi 15 toute la journée je suis à la forge, pour aider à tenir les pieds des chevaux, à 2h il y a eu revue d'armes et d'harnachement
6h soir je reçois une lettre le n°8 datée du 28 mars, j'en reçois une de Develay.
Vendredi 16 Nous devons être sortis du camp à 2h du soir en conséquence nous faisons nos paquetages et démontons nos tentes.
1h soir nous attelons et nous préparons au soi-disant départ je reçois mes photographies d'hier 3f la douzaine
2h ¼ toutes les voitures sortent du camp. nous avons fait environ 1 k, passé une revue et rentré au camp. nous avons remonté nos tentes. Je reçois une lettre du 17 mars.
Samedi 17 6h ½ départ pour la baignade des chevaux jusqu'à 9h. ensuite j'écris ma 30 lettre et envoie ma photographie chez nous de même.
1h soir conduite des voitures jusqu'à 3h. on nous dit que nous partons certainement lundi matin 19 avril pour destination inconnue.
Dimanche 18 avril 1915 5h ¼ réveil
6h appel et pansage de 6 à 8h
10h ¼ soupe,
2h soir nous commençons à sortir les voitures du camp, pour le départ de demain matin.
3h les voitures sont toutes sorties.
4h ½ soupe
5h ½ grande séance de danse arabe par des arabes qui sont venus nous voir. Il passe à côté de nous une très belle automobile avec dedans deux femmes turques superbes, un jeune syrien nous dit que ce sont les femmes d'un richissime pacha.
Lundi 19 nous partons à 6h45 nous faisons une halte assez longue avant d'arriver en ville ensuite nous faisons toute la traversée de la ville à pied. Arrivé non loin des quais nous arrêtons il est 10h moins dix. Quand il y eut environ 1h que nous étions arrêtés, on fait manger l'avoine aux chevaux et mangeons nous-mêmes en plein soleil. Nous restons ainsi jusqu'à midi dix. Ensuite nous allons à quai où nous arrivons après avoir fait le double de chemin qu'il ne fallait.
A 1 heure le temps s'est heureusement couvert. l'Italie n'est pas là nous attendons peut-être 2h avant qu'il n'arrive ensuite nous dégarnissons nos chevaux et commençons immédiatement l'embarquement du matériel j'écris ma 32ème lettre
L'Italie est loin de valoir l'Australien. D'abord il n'y a pas de cabines. C'est plutôt un navire marchand il est bien plus petit que l'Australien. Nous couchons dans des cales. Le plancher est très dur, cette nuit nous étions tous mélangés là-dedans. J'ai tout de même dormi car j'étais tellement fatigué. Pour de l'eau c'est très difficile d'en avoir, il y a deux trois petits robinets qui pissent gros comme un chalumeau de paille. C'est tout ce que nous avons pour nous débarbouiller et pour boire.
Il y a une chose que je crois injuste, il y a des officiers qui gagnent gros, ils sont nourris comme des princes, ils ont plusieurs plats de viande, desserts à volonté, fraises, fruits, divers gâteaux, pendant que nous qui devrions toucher la solde coloniale, je crois une quinzaine de sous, nous ne la touchons pas, nous ne touchons que notre sou, sous prétexte que le reste est versé pour améliorer l'ordinaire, ce qui n'est pas vrai, nous ne sommes pas mieux nourris qu'au quartier au contraire, nous n'avons même jamais un morceau de dessert, que nous avions au quartier. Il est vrai que nous avons un quart de vin par jour. Je ne m'étonne pas que plusieurs ronchonnent assez forts.
Mardi 20 la journée s'annonce comme très chaude. L'embarquement suit son cours nous embarquons les chevaux jusqu'à 11 heures ensuite soupe, nous reprenons l'embarquement à 1h
c'est terminé pour notre pièce à 2h ½ .
aujourd'hui dans la cale où nous couchons il est arrivé des tirailleurs sénégalais, et dans la cale où sont nos chevaux les tringlots ont embarqués une quinzaine de chevaux, ça en fait 70 dans le même trou.
Hier en venant du camp à Alexandrie, j'ai vu dans les jardins d'une villa un banian avec ses racines qui partent des branches.
Pour manger nous ne savons pas où nous placer, nous n'avons le droit de circuler que sur une partie du pont, nous sommes tous les uns dans les autres assis par terre, ça n'est pas précisément une bonne place pour manger.
Mercredi 21 l'embarquement continue. J'envoie une lettre à Emile et une carte chez moi. Les quais sont encombrés de marchands, c'est triste à dire mais ils sont indignement volés par les soldats français : en fait de paiement, cela arrive souvent qu'ils reçoivent un coup de poing ou un coup de pied dans le derrière.
5h soir maintenant nous chargeons des munitions, obus. Je viens de recevoir une lettre de Massacrier datée du 4 avril.
7h l'embarquement des munitions est terminé, nous allons sur les quais voir les Anglais embarquer. Ils embarquent de nuit, ils sont plus pratiques que nous et vont plus vite à embarquer, en ce moment ils embarquent sur 3 bateaux à la fois.